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Alpesud : un engagement social et territorial

Richard Sauvat, directeur, et Bernard Illy, président d'Alpesud, devant le site historique de Lazer, le tout premier silo de la coopérative céréalière Buëch et Durance.Photos Hélène David

Présente sur deux départements montagneux, la coop Alpesud joue la carte de la solidarité et des alliances pour développer son activité, notamment vers le bio. Mais la pérennité de ce marché ne semble pas assurée.

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Bientôt octogénaire, Alpesud s'est considérablement développée depuis 1936. Le dernier site d'appro ouvert à Valensole, en janvier 2012, à la demande d'éleveurs ovins en est l'illustration. La coopérative couvre deux départements, Hautes-Alpes et Alpes-de-Haute-Provence (plus 12 000 km2), et sert plus de 1 600 adhérents. Ils sont éleveurs, arboriculteurs, maraîchers, producteurs de céréales, souvent polyactifs.

Le siège est situé à Laragne-Montéglin, à mi-chemin entre Marseille et Grenoble, plus précisément entre la Haute-Provence aride et les premiers sommets et vallées alpines. Dans ce Pays du Buëch, des moulins établis sur les eaux de la rivière Buëch ont fonctionné pendant huit siècles. En 1936, des producteurs de céréales des Hautes-Alpes se regroupent pour créer la coopérative céréalière Buëch et Durance avec un silo à Lazer, à 3 km de Laragne-Montéglin. Puis, en 1948, naît la coopérative d'appro de Laragne. Les deux structures ont fusionné en 1998 sous le nom d'Alpesud, après avoir repris la coop d'appro-collecte de Gap en 1985 (Casa), un négoce à Sisteron et les dépôts des Alpes-de-Haute-Provence de la coopérative agricole des Bouches-du-Rhône en 1988. Ces entités étaient menacées de fermeture. Ainsi, Alpesud dispose aujourd'hui de neuf dépôts et six silos. Un maillage très utile, car la région est vaste et les axes sont en majorité des routes départementales sinueuses.

Soutenir les installations

« Nous faisons du service public », ironise Bernard Illy, le président d'Alpesud. Pour éviter à des éleveurs de circuler sur des centaines de kilomètres, le dépôt d'appro de Barcelonnette (près de la frontière italienne) est maintenu. Il ne sert pourtant qu'une centaine d'adhérents... « Le conseil d'administration a une vision sociale de son rôle. Nous faisons tout pour maintenir les postes de nos salariés, ainsi que les services de proximité pour les agriculteurs », complète-t-il. Preuve de cet engagement social et territorial, Alpesud vient de s'associer avec la coop fruitière de Laragne-Montéglin pour mettre en place un système de portage de foncier. « Cette nouvelle société s'appelle Soliterre. Elle va, aidée de la région, soutenir les installations dans nos deux départements », explique Richard Sauvat, le directeur d'Alpesud. Avec des terres achetées 10 000 €/ha, il faudrait un budget de départ important et une trésorerie conséquente pour faire fonctionner l'exploitation. Le portage foncier viendra alléger les échéances des producteurs qui se fourniront à la coopérative.

Cette solidarité fonctionne aussi quand la trésorerie des adhérents est étriquée, mais qu'ils ont besoin d'intrants. C'est le cas actuellement de nombre d'arboriculteurs dont les poires et les pommes en surproduction en 2014 ont atteint des records de prix d'achat extrêmement bas, jusqu'à 5 c€/kilo. « Nous trouvons des modalités de règlement », concède Richard Sauvat.

« Depuis les origines de la coopérative, l'orientation des exploitations a changé. Il y a moins de surfaces de céréales », poursuit-il. Ici, rien de commun avec le nord, les livreurs peuvent arriver au silo avec une récolte de quelques tonnes... Si bien que certains silos deviennent surdimensionnés, comme celui de Gap, rattrapé par l'urbanisation et désormais situé dans une zone d'activité trop fréquentée. Alpesud a bien l'intention de vendre ce site pour délocaliser la collecte et le stockage dans une structure plus fonctionnelle, loin des embouteillages urbains...

Accéder à l'innovation

Et les silos d'Alpesud ne servent pas seulement la meunerie. Plus de la moitié des céréales collectées a pour débouché l'élevage, en vrac et surtout conditionnées. La coopérative a investi dans une ligne d'ensachage robotisée, installée au silo de Lazer. Les sacs de 25 kg de céréales sont livrés aux clients et aux magasins de la coop.

Sur place également, une fabrique d'engrais de mélange (Bulk) conditionne en big bags des formules d'engrais spécifiques pour répondre aux besoins d'apports de fertilisations raisonnées. Alpesud fait partie du groupement Inter Appro (Chaponnay, Rhône) qui adhèrera en juillet prochain à la centrale d'achat Area, Alliance régionale Est appro. « Ces alliances nous rendent incontournables, car nous avons accès à des produits innovants, ce qui n'est pas évident pour une coopérative de petite taille », précise le directeur. Même si depuis sept ans, la partie engrais est en perte de vitesse, elle représente encore un quart du chiffre d'affaires appro.

Les magasins accueillent les professionnels, mais pas seulement. Car depuis 1989, Alpesud, membre d'InVivo, a adopté la marque Gamm vert sous sa filiale Alpagri et a développé des boutiques grand public. La première a ouvert à Digne en 1990. Depuis, tous les dépôts professionnels, exceptés ceux de Barcelonnette et de Valensole, ont une boutique associée et quelque 30 000 références de produits en achat à l'unité. Auparavant, les jardiniers venaient dans les dépôts d'appro acheter leur engrais...

Richard Sauvat explique : « Notre clientèle d'agriculteurs diminuant, il a fallu nous diversifier en créant des magasins mixtes. Dans ces zones rurales isolées, nous avons choisi de faire porter aux particuliers une partie des charges de ces structures. Cela permet de maintenir les services aux agriculteurs qui peuvent eux aussi faire leurs achats jusqu'au samedi soir. » Cette activité est aujourd'hui l'un des piliers de la coop, mais « il nous a fallu apprendre un nouveau métier, cela a pris plus de dix ans », estime Bernard Illy.

Sur le terrain, le résultat est là. Au magasin d'Embrun, une embauche a permis d'augmenter de 12 % le chiffre d'affaires et l'arrivée en septembre dernier d'une nouvelle technicienne polyculture-élevage, Faustine Chaix, a déjà amélioré de 15 % l'activité agricole. Au magasin de Forcalquier, l'équipe a réalisé l'an dernier + 60 % en boutique et + 40 % d'activité agricole. Malgré une concurrence existante, ce site des Alpes-de-Haute-Provence est bientôt saturé. Si bien qu'en 2015, un budget de 300 000 € est prévu pour étendre les surfaces et agrandir les locaux.

La région Paca, première région bio de France

Les produits d'appro bio sont aussi des fers de lance pour Alpesud. « Depuis trois ans, la croissance est à deux chiffres », assure Richard Sauvat. Le bio représente près de 10 % du chiffre d'affaires des approvisionnements. Plusieurs raisons à cela. La région Paca est la première région bio de France avec 10,5 % de SAU en bio, alors que la moyenne nationale atteint 3,09 %. Traditionnellement, les exploitations sont de petites tailles et le mode de production peu éloigné du cahier des charges bio. La conversion se fait souvent au moment de la transmission aux enfants. Les aides publiques sont importantes. Les Alpes-de-Haute-Provence et Hautes-Alpes comptent environ 500 exploitants certifiés AB. Mais chez Alpesud 826 adhérents se fournissent en produits bio. « Même en agriculture conventionnelle, intégrer des produits bio dans les traitements est intéressant pour produire avec moins de phytos », explique Margot Allain-Launay, référente bio.

Dès 2008, Alpesud a fait alliance avec des coops de Rhône-Alpes pour fonder Bio Sud-Est. Cette union fournit en aliments bio les éleveurs qui ne sont pas en autonomie. Mais son rôle principal est de gérer la qualité et la mise sur le marché des céréales bio à destination meunière. A Valernes, au nord de Sisteron, Alpesud possède un silo bio d'une capacité de 800 t. « Sur notre territoire, où l'on ne compte pas sur de forts rendements, les marchés de niche comme le bio ont du sens. Mais jusqu'à quand le marché bio permettra aux producteurs de vivre de leur métier ? La production augmente plus vite que la consommation, les cours sont à la baisse ! Il y a même depuis trois ans une stagnation de la consommation animale et humaine de céréales bio... », s'inquiète Richard Sauvat. « Il ne faut pas croire que le bio est la panacée, nous restons prudents. Il est difficile de prévoir l'évolution dans le temps. En tant que coopérative, nous nous devons de répondre aux demandes des agriculteurs qui vont dans cette voie-là, mais on se doit aussi de les mettre en garde », conclut Bernard Illy.

Alexie Valois

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